copyright Justine Collomb photographe
SYBAUX sculpteuse. Née en 1966, installée à Aubenas, France.
En 2000 enfin je m’inscris à un atelier de sculpture où j’explore diverses techniques et matières : bêton cellulaire, argile, bois, soudure de métaux, calcaire, plâtre, etc. Occasion d’expérimenter assemblage et taille directe. Enceinte de ma fille, j’y sculpte dans une branche de tilleul une « prière à l’enfant », ma première œuvre bois est née dans le Lot, comme elle et mes sources paternelles !
En 2004 j’arrive en Ardèche, terre des ancêtres maternels, à l’énergie volcanique si chère à mon cœur. C’est là que ma rencontre avec la matière bois est déterminante, lorsque je vois naturellement émerger une forme dans un morceau de bois coupé de la châtaigneraie du Pradas à Genestelle. Alors on ressort les outils du grand-père paternel, ébéniste amateur dont l’odeur de l’atelier restera à jamais gravée dans ma mémoire olfactive. Mon père affute gouges et ciseaux et c’est parti. De mes deux sources réunies peuvent jaillir des sculptures…
Le garage sous la maison, ancré dans le rocher du château et ouvert sur le panorama époustouflant de la vallée de l’Ardèche, devient mon antre et un vieil établi en bois le support de mes transformations. « Méditation » prend forme en taille directe, une chute accidentelle que j’accepte me fait comprendre dès le départ qu’il n’y a pas de repentir possible dans cette pratique. Cela me va bien.
Dans le silence ou le seul bruit des outils sur le bois, j’enlève la pourriture et creuse autour, je ponce les couches d’écorce, d’aubier, je suis le fil du bois et me laisse guider par le chemin de la sève et les formes présentes dans la matière, j’affine les lignes dès que je touche d’un côté pour équilibrer de l’autre, et petit à petit la forme aperçue au moment de mon choix de prélèvement du morceau dans la nature se montre. Je ne décide pas d’imprimer une forme, je lis juste les lignes et volumes du bois. Je ne suis qu’un révélateur, sans peur de rater.
En 2004, je me lance aussi en parallèle dans la pratique du Qi Gong, cet art énergétique chinois qui m’ouvre d’autres perspectives réceptives. Il me semble vraiment que ces deux pratiques se nourrissent mutuellement, depuis 20 ans désormais.
La sculpture est pour moi comme une sorte de méditation, d’état de vide qui laisse advenir une résurrection du bois, peut-être grâce à sa vibration interne. Une correspondance bois-moi intangible, énergétique, précieuse, loin du mental et de la volonté opère. Intuitivement, je placerais ce lien au niveau du Dan Tian ou du cœur, même s’il passe par l’intelligence et la générosité de la main. Unité créée entre la matière et quelque chose de bien mystérieux en moi. Magie de la création. Plaisir d’agir sur cette matière, sueur, copeaux et poussière de bois, véritable corps à corps plus les morceaux sont gros ! Le besoin de sculpter fait partie de moi et la frustration est grande lorsque je suis en manque. Pendant l’acte, le temps se fixe dans un présent intense, je me sens très vivante.
Je collecte souches, troncs, branches lors de balades : châtaigner, mûrier, platane, cerisier, chêne … donc peu de bois de sculpture ! On m’en donne aussi, je sélectionne ceux qui ont une gueule intéressante à exploiter. En 2010 j’attaque le figuier de mes amis, un arbre aussi grand que moi qui avait refusé de se faire tronçonner en deux. Les passants s’arrêtent et observent le travail se faire. L’un d’entre eux, Diop, me dit : « toi, tu es sculpteur » quand il me voit face à ce monde que je nommerai la condition humaine, puis Lilith, lorsque j’aurai compris en échangeant avec une copine qui est cette deuxième femme. Cette affirmation m’interpelle et me nomme artiste puisque je suis autodidacte. Puis vient la reconnaissance d’amis artistes professionnels qui veulent échanger des œuvres avec les miennes : Ghyslain Bertholon et Bang Hai Ja. J'en suis très heureuse et honorée. Mes sculptures semblent toutes connectées aux étapes de ma vie intime. Par quel hasard peuvent-elles à ce point faire miroir ? Quel sacré cheminement du plus intime de l’acte créateur vers le plus universel, le partage avec le public de la beauté et de la sensualité des courbes très féminines qui se donnent à voir.
J'ai catégorisé mes sculptures en trois séries intitulées concepts, mythologies et mutants, mais chacun peut y voir ce qu’il veut; finies elles sont à vous !
Arts plastiques | Actions culturelles et éducatives (folardeche.org)
Sculpture in situ d'un cèdre de 2 mètres sur pied, réalisée avec Jamel du service espaces verts de la ville.
avec mon amie peintre coréenne BANG Hai Ja .
Au fil du bois / Par Lorenzo Piqueras, Architecte muséographe, Janvier 2024
Les mains avec les yeux ont toujours caressé et pétri les chairs désirées. Ou vice et versa ? En surface...
Sylvie entre, avec une infinie douceur déterminée, dans les peaux secrètes du bois, émergent alors des courbes sensuelles de strates inconnues aux yeux, au toucher, à l'imaginaire même.
Au fil des veines, la décision de s'arrêter là ou là est une question d'intuition profonde... de mise au monde... alors la surface devient épiderme sensible à la lumière.
Suivre le fil du bois révèle la forme toujours empreinte de sensualité et d'émotion à l'état brut.
Pour chaque œuvre on s'interroge, comment est-ce possible ?
Mais oui, cette "investigation" dans la profondeur de la matière révèle une complicité inconnue et si précise...
Advient la confrontation à l'œuvre, la certitude que nous sommes devant la plus grande intimité jamais révélée. Alors que les mains parcourent les reflets lumineux, gare à la perception d'un tête à tête, sans y être initié ... cette émotion foudroie.
S'agit-il de l'artiste mise à nu...?
La sève de l’arbre est partie depuis belle lurette et son écorce n’est pas mieux lotie. Adieu, lichens, mousses et vermisseaux ! Démembré, gisant sous des buissons insatiables, un tronc sans tête a été jeté aux orties après avoir été dédaigné des cheminées. C’est avec lui que SyBaux a choisi de dialoguer. Conciliabule étrange, tête- à- tête sur la pointe des pieds, jusqu’à ce que peu à Npeu surgissent de ses entrailles des silhouettes et des gerbes de braises. Subtile incandescence qui fait fi des arbres généalogiques et de leurs branches auxquelles sont accrochés, le plus souvent, en rangs d’oignons, des disparus. Les sculptures, elles, malicieusement, descendent de leur piédestal pour venir à la rencontre des passants. L’arbre arraché à la forêt renaît étonnamment pour émouvoir des forêts humaines. L’arbre de vie surgit, comme on va à une fontaine, des copeaux finement ciselés par une magicienne des palpitations subtiles, SyBaux.